Décrets ZAN : le « oui, mais » du Conseil d’État 

Le Conseil d’État a rendu hier sa décision sur les recours que l’AMF a déposés, en juin 2022, sur les deux décrets « ZAN » d’avril 2022. Si le Conseil d’État n’a pas accepté d’annuler les deux décrets, comme le demandait l’association, il a tout de même partiellement reconnu la validité des arguments de celle-ci.

C’est une initiative rare qu’a prise l’AMF en juin 2022 : demander l’annulation de deux décrets, dont elle contestait la légalité. Mais le sujet était d’ampleur : il s’agissait de deux décrets d’application de la loi Climat et résilience donnant les modalités d’application du dispositif « zéro artificialisation nette »  (ZAN). Le Conseil d’État a rendu, hier, sa décision sur ces deux recours.

Échelle et « polygones »

Il s’agissait des deux décrets communément appelés « nomenclatures »  et « Sraddet ».

Le décret nomenclatures (« relatif à la nomenclature de l’artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d’urbanisme » ) a pour objectif de « déterminer les surfaces devant être considérées comme artificialisées et celles comme non artificialisées ». La loi Climat et résilience disposait en effet que « la nomenclature des sols artificialisés ainsi que l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification d’urbanisme »  devaient être établies par décret.

Or le décret du 29 avril ne fixe pas avec précision cette « échelle », se contentant d’établir que « l’occupation effective est mesurée à l’échelle de polygones dont la surface est définie en fonction de seuils de référence précisés par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme selon les standards du Conseil national de l’information géographique ».

Dans sa requête, l’AMF a soutenu que ces dispositions sont illégales dans la mesure où elles délèguent à un arrêté une décision qui devait être prise par décret ; et parce que « les standards du Conseil national de l’information géographique »  ne représentent pas un critère objectif fixé par la loi.

Le Conseil d’État a validé cette analyse. Dans sa décision, il estime que le décret ne remplit pas le rôle qui lui a été confié par la loi, à savoir « définir l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents d’urbanisme ». Le Conseil d’État annule donc cette partie du décret, ce qui conduit à l’annulation du 3e alinéa de l’article R101-1 du Code de l’urbanisme.

À l’AMF, on commentait hier cette décision en estimant qu’il s’agit « d’une clarification très attendue », dans la mesure où le Conseil d’État reconnaît que « les conditions d’observation doivent désormais être nécessairement fixées à travers un décret et non au gré d’arrêtés ministériels ou de standards d’observations techniques qui n’ont pas en soi de valeur réglementaire ».

Hiérarchies des normes

Concernant le décret Sraddetrelatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires » ), en revanche, le Conseil d’État n’a pas suivi l’AMF. Mais il a tout de même exprimé des nuances par rapport au contenu du texte.

Rappelons que la loi a inscrit la trajectoire ZAN à 2050 dans la  hiérarchie des normes entre les différents niveaux de collectivités et les documents qu’elles produisent : les objectifs en matière de lutte contre l’artificialisation des sols sont fixés par les régions, et inscrits dans le Sraddet (schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires). Ces objectifs sont ensuite déclinés au niveau infrarégional : les SCoT doivent « prendre en compte »  les objectifs fixés dans les Sraddet et être « compatibles »  avec les règles du fascicule ; et en l’absence de SCoT, les PLU et les cartes communales doivent être « compatibles »  avec les règles du Sraddet..

Le décret dispose que les Sraddet doivent « déterminer une cible d’artificialisation nette des sols au moins par tranche de dix années ». L’AMF, dans son recours, a estimé que le décret outrepassait en cela la loi, qui ne parlait pas de « cibles »  mais de simples « objectifs ». Par ailleurs, le décret « n’impose pas que les efforts déjà réalisés »  en termes de lutte contre l’artificialisation soient pris en compte dans le Sraddet pour la fixation de ces objectifs.

Le Conseil d’État n’a pas jugé ces dispositions illégales, et les a donc maintenues. Il juge que la loi Climat et résilience a bien confié au Sraddet « le soin de fixer des objectifs de maîtrise de l’artificialisation des sols », ce qui permet que ces objectifs « se traduisent par des règles s’imposant aux documents locaux d’urbanisme par un rapport de compatibilité ».

Tout dépend ensuite de la façon dont sont appliquées ces dispositions : l’AMF dit prendre acte « du souhait affirmé par le Conseil d’Etat de donner sa pleine portée au dispositif ZAN »  et  relève les « difficultés »  qui risquent immanquablement d’apparaitre si le rapport de compatibilité entre les objectifs du Sraddet et les documents d’urbanisme « ne sont pas appréciés avec la souplesse nécessaire ».

« Efforts passés »

Quant aux efforts déjà réalisés par le passé, s’ils ne figurent pas dans la liste des points à prendre en considération au moment de l’élaboration du Sraddet établie dans le décret, le Conseil d’État juge que ce n’est pas nécessaire puisque ce point figure déjà dans la loi Climat et résilience , à l’article 194  : « Afin de tenir compte (…) de la réduction du rythme d’artificialisation des sols déjà réalisée », la région « associe »  les établissements chargés de l’élaboration des SCoT « à la fixation et à la déclinaison des objectifs ». Le Conseil d’État reconnaît donc clairement que les SCoT peuvent faire « remonter »  à la région le critère des « efforts passés », ce qui apparaît comme une demi-victoire pour l’AMF.

L’association estime donc que les décisions du Conseil d’État apportent des clarifications utiles, en regrettant toutefois qu’elles ne lèvent pas « toutes les ambiguïtés d’interprétation de la loi ».

Quoi qu’il en soit, les cartes vont maintenant être rebattues. Dès le congrès de l’AMF de l’année dernière, le ministre de la Transition écologique a en effet annoncé que les deux décrets allaient être « révisés »  (lire Maire info du 23 novembre 2022), peu après avoir demandé aux préfets de « lever les stylos », selon son expression, et « de ne pas appliquer un décret qui souffre d’un certain nombre de remarques ».

Deux nouveaux décrets sont donc sur le métier. Ils sont même prêts, et ont été validés par le Conseil national d’évaluation des normes du 27 juillet dernier, les représentants des élus ayant donné un avis favorable. Ces textes ont fait l’objet d’une consultation publique en juillet et en août. On reste donc dans l’attente de leur publication au Journal officiel. Maire info reviendra sur le contenu dès leur publication.

 

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